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   La restauration timide, et plus généralement l’architecture timide, a pour inspiration le caractère timide. Les courageux changent la réalité, la modifient et l’altèrent, mais les timides sont les protecteurs de la vie. Ce sont les vrais "conservateurs".
Les timides sont attentifs et sensibles ; parfois leurs précautions sont excessives, mais rarement ils se trompent en percevant le danger. Ils sont nos sentinelles ; si nous les écoutons, leur peur pourra nous protéger tous. Le timide est le seul à nous faire comprendre nos limites, à nous signaler nos limites humaines («Connais-toi toi-même») ; ainsi, la timidité est-elle aussi notre sagesse.

   La restauration timide est l’art de savoir écouter, qui s’apprend bien sûr avec difficulté, et qui vaut également pour notre comportement envers autrui. Le timide apprend à écouter les autres, s’abstient d’anticiper leur pensée (en croyant l’avoir déjà entendue) et se dispose à leur prêter attention. L’esprit timide parcourt les pages d’un livre en s’attardant aussi sur les lignes blanches et sur les espaces entre les lignes, sans se hâter de voir comment se finira l’histoire. Lorsqu’il lui semble n’avoir pas bien compris, il revient sur ses pas.

   Le timide utilise la vertu aristotélicienne de phronèsis, c’est-à-dire du savoir pratique qui nous est nécessaire pour agir et prendre des décisions dans les diverses circonstances de la vie. La véritable richesse de l’architecte ou du restaurateur timide lui vient de savoir intervenir avec peu de chose – ce peu n’étant jamais pénurie.
À l’inverse, la folie de la restauration traditionnelle et de l’architecture contemporaine est basée sur la technique miraculeuse, le gaspillage des ressources, la consommation effrénée, l’opulence, la volonté de puissance qui n’est qu’un fantasme.
  La grande richesse de la restauration timide est l’absence, le renoncement à intervenir, selon le principe quieta non movere, l’inutilité de l’intervention si elle n’est pas strictement nécessaire. Sa qualité consiste à se cacher, à s’arrêter au moment opportun, à ne pas rendre son intervention spectaculaire, à être conscient de ne pas tout savoir, à être prudent, en un mot, timide.

   Sisyphe existe. Il existe sur cette terre ; nous l’avons sous les yeux. C’est la roue qui tourne des affaires, des coûts gonflés, des restaurations exemplaires, des restitutions de la splendeur primitive, des choix arbitraires basés sur des critères historiques ou esthétiques, des grands sponsors, des interventions définitives et massives, des sauvages mises aux normes, des enduits décortiqués. Nous sommes face à une véritable boulimie de restauration.

   La restauration traditionnelle est personnifiée par Sisyphe, tandis que le lapin incarne la restauration timide. Le lapin est celui qui creuse. Le lapin est l’animal qui fait son terrier et y demeure. Le lapin comme le timide, grignote, ronge. Circonspect à l’égard de tout danger, sa proverbiale timidité creuse, mord, ronge le monde. À la volonté de puissance du monde de la technique, la philosophie propre au timide répond par l’économie et la parcimonie.

   La restauration timide, ou mieux la conservation timide, s’occupe de tous les aspects que la restauration et, de manière plus générale, l’architecture traditionnelle négligent habituellement.

   La restauration timide, face à la technique, se comporte avec douceur. La restauration timide, face à l’économie, pratique une nouvelle forme de grève : non pas la grève de la production mais de la consommation. “Omnia mea mecum porto”

   A table, le timide goûte les nourritures et puis les laisse. »

                                                                  Manifeste rouge de la restauration Timide - In " restauro timido, architettura

                                                                  affetto gioco ", Marco Ermenti, Nardini Editore, 2009.

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